L’outre-blanc – Oksana et Gil Prou

L’outre-blanc
Oksana et Gil Prou
Fleur Sauvage

Couverture L’outre-blanc Oksana et Gil Prou Fleur Sauvage
À plat de couverture emprunté au blog des auteurs (https://oksanaetgil.wordpress.com/).

Mon histoire commence à l’université de Berkeley où j’assiste en dilettante à un cours d’archéologie. Dispensé, excusez du peu, par un binôme d’experts en pillage de tombes : Lara Croft et Indiana Jones.
Un beau jour, ou peut-être une nuit, Indy me convoque dans son bureau. Bibi pas trop rassuré. Je pressens la querelle testostéronée sous prétexte de chasse gardée. Mes explorations de sa consœur en short n’ont rien d’archéologique, faut avouer. Je vais me faire démonter la face…
Ou pas. Déjà, mes deux profs sont là, exit l’explication entre quatre z’yeux. Et il n’est pas question de cochonneries mais de boulot. Pourquoi pas ?…
Paraîtrait que mes notes ne volent pas haut et que je doive redresser la barre comme le chevalier du même nom. Pour rester dans le ton, je promets de travailler la Gaule. Faudra aussi lever le pied sur l’écran solaire : l’anti-UV à outrance tue le partiel. À la mine dubitative que les archéo-stars affichent de conserve, c’est pas dans la boîte.
Trouver autre chose vite…
Et si je rapportais un artefact fabuleux ? Tiens, le Graal, porteur, ça, le Graal. Ah ben non, mister phobie des serpents a déjà mis la main sur la coupette. Les Cités d’Or, c’est mort, Esteban et ses potes les ont pulvérisées. Surtout ne pas évoquer les crânes de cristal, vaut mieux garder le dossier au frigo. On oublie l’Atlantide, je nage comme une enclume. Putain, ça vient pas !…
Ah si, tiens, l’outre blanche. Un précieux bidule mentionné par un moine dominicain dans un vieux papelard du XVIe siècle. “C’estoit chose fabuleuse”, qu’il dit dans un formidable esprit de concision. À quoi elle ressemble ? Aucune idée. Son origine ? Son usage ? Ses pouvoirs ? Peau de balle. Pas une ligne de description, mais la carte qui va avec, ouch ! Détaillée, précise, avec une grosse croix pour marquer l’emplacement du bousin. Mieux que Google Maps !
Ni une ni deux, me voilà parti au fin fond des tréfonds de la jungle. Je me paume en route, m’accorde une promotion canopée avec une Amazone, rencontre un vieux échappé d’une histoire de Perceval, combats des créatures diverses et variées allant du jaguar mutant au Pokemon-fusillez-les-tous. Le labyrinthe de cristal se traverse d’une traite. Facile de s’y orienter : une fois à gauche, trois fois à droite, répéter le schéma jusqu’à la sortie. On dirait le quinquennat de Hollande.
Une ellipse narrative plus tard, je débarque au pied d’une pyramide posée au milieu des arbres par des glandus qui ont oublié d’inventer la route pavée. Tout autour poussent des fleurs sauvages et de l’aconitum à foison. Je fais gaffe à pas les écraser, top pratique de marcher sur la pointe des pieds en rangers. Dans la vraie vie, la chose serait impossible, mais là, j’y arrive fingers in the nose (c’est une métaphore, hein). Merci la fiction. Préservée, la fleur sauvage ne fanera pas.
C’est pas le tout, mais le devoir m’appelle. Sa petite voix tonitrue des “Fred ! Fred !” depuis le sommet de l’édifice. Jamais compris pourquoi des civilisations sans ascenseur s’échinaient à bâtir des machins en hauteur plutôt que de plain-pied. Architectes anciens, grands malades de l’escalier dont on ne voit pas le bout, je vous hais ! Pas le choix, let’s go! Je gravis la première marche, la deuxième, la troisième, la quatrième, (…) la cent soixante-huitième. Je suis mort, je tiens plus en l’air.
C’est con, y a pas d’outre. Merci d’être venu.
Là, si j’étais un personnage de chick lit, je me passerais la main dans les cheveux. Pour rien, juste histoire de. Comme on n’est pas là pour clowner, allons plutôt jeter un œil au piédestal qui se dresse tel un membre siffrédien. Un bête cube en pierre lisse, pour la trouvaille du siècle on repassera. Aucun bas-relief avec des petites pieuvres qui enfilent des humains, Lovecraft va pleurer sa mère. Un bouquin repose sur la face supérieure (lapalissade inside vu que tu ne peux rien poser sur les parois latérales sans que la gravité te rappelle à quel point l’idée est débile). Pas un grimoire maléfique qui irradie d’une aura de noirceur bien cliché, juste un livre moderne, broché, normal. L’outre-blanc.
Crétin de moine pas doué pour l’ortografe !

Angelina Jolie Lara Croft en short
Ta mère en short !

On doit L’outre-blanc à Oksana et Gil Prou, binôme inattendu pour des bouquins qui le sont tout autant. Rien d’étonnant quand on voit le nom de l’éditeur : les fleurs sauvages ne poussent qu’en dehors des sentiers battus.
La quatrième a de quoi intriguer. “Que se passe-t-il dans le cerveau d’un homme qui vient d’être décapité ? Une odyssée verticale hallucinante…” Modèle de concision qui a pour avantage de ne pas décevoir les attentes du lecteur vu qu’il ne sait pas à quoi s’attendre.
À l’arrivée, le roman se range dans les inclassables, quelque part entre science-fiction, fantastique, philosophie, récit onirique… Mon avis ira dans la même catégorie. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un roman riche au contenu intéressant. À côté, deux défauts l’empêchent d’accéder au niveau de l’excellent Les Thanatonautes de Bernard Werber (qui signe la préface avec Jean-Claude Dunyach). Le bilan penche vers le positif, mais c’est un livre qui demande de s’accrocher.

Je vais commencer par les défauts, ce sera fait.
La longueur, déjà. Les volumes épais ne me rebutent pas en soi, encore faut-il qu’ils tiennent la distance. Ici, le problème vient de “l’introduction”. Que je mets entre guillemets, parce qu’elle couvre 200 pages sur les 550. C’est long, très long, trop long.
Sans spoiler toute l’histoire, en gros, une expédition scientifique part grenouiller dans la jungle pour étudier des trucs de savants. Une bande de guérilleros tombe dessus. Enlèvement, séquestration, brimades, le club Med version Ingrid Betancourt. Le chef des brigands n’a rien d’un Robin des Bois, seule la rançon le motive, qu’il compte se redistribuer à lui-même. Bon ben 200 pages pour te brosser le décor de jungle et raconter les conditions de kidnapping et de détention, c’est 150 de trop vu l’abondance de redites. Pour rester dans la thématique, faut trancher. La quatrième joue sans doute beaucoup, puisqu’elle annonce une décollation suivie d’une odyssée. En bonne logique, le lecteur s’attend à entrer assez vite dans le vif du sujet.
On ne peut certes pas reprocher aux auteurs de poser le cadre et les personnages, mais la longueur de cette première partie collerait plus avec un thriller politique qu’avec un récit de vie après la mort. Pour détourner un fameux proverbe, l’important, c’est le voyage, pas le point de départ.
Deuxième défaut, les lourdeurs stylistiques. Tout le monde n’y est pas sensible, moi si, chacun son truc. Pas mal de répétitions et de redondances, encore plus d’adverbes en -ment. Je sais, je suis un obsédé des adverbes… N’empêche, demande à Colize ce qu’il en pense et compte combien il en met dans Concerto pour 4 mains. Ou jette un œil à Écriture, mémoires d’un métier de Stephen King où un chapitre leur est consacré. Adverbes en -ment = lourdeur. La moitié peut être supprimée, l’autre remplacée par des équivalents.

L’outre-blanc se rattrape sur le fond. À commencer par l’originalité de l’idée initiale. Se demander ce qui se passe dans la caboche d’un type décapité, dans le genre pitch peu commun, ça se pose là.
Le roman possède aussi de solides références. En premier lieu, on pense bien sûr à l’outre-noir du peintre Pierre Soulages. À travers les notes, citations, allusions, guest stars, les auteurs ont potassé leur sujet, voire leurs sujets au pluriel. Ils mettent à contribution tous les domaines de l’art, de la science et de la pensée.
J’ai retrouvé dans L’outre-blanc une richesse analogue à celle des Thanatonautes en matière d’histoire, science, religion, mythologie, philosophie. Cette masse d’informations est utilisée pour servir le propos sans donner l’impression d’un étalage de culture-confiture. C’est le genre de bouquin qui donne envie de farfouiller à droite à gauche pour approfondir les noms, œuvres et idées évoqués. Platon, Dante, Gilgamesh, von Kleist, Hugo, Giordano Bruno et d’autres, que du beau monde. Une ouverture culturelle bienvenue et bien amenée.

Un mot sur l’outre-blanc sans italique, ce monde dans lequel vadrouille notre émule de Louis XVI. Comme son nom l’indique, tout y est blanc.
“L’espace est blanc. Uniformément blanc.
L’espace est blanc. Et immense.
L’espace est blanc. Silencieux.
L’espace est blanc. Et vide.” (p.216)
Parti-pris risqué. Un univers pareil, tu te demandes comment on peut y caser une “odyssée verticale” avec tout ce que l’idée implique de souffle épique. C’est possible. Déroutant, surréaliste, symbolique, beau. Et profond dans son approche de la vie après la mort.
Par son étrangeté, l’outre-blanc rappelle les Contrées du Rêve de Lovecraft, avec quelque chose de La persistance de la mémoire de Dali (en version monochrome de blanc pour le coup). Les différents avatars du “cavalier sans tête” (et sans cheval) qui se rencontrent m’ont fait penser à certains textes de Moorcock, monsieur Multivers et Champion Éternel. Si on ajoute les références dont je parlais plus haut, on a vu plus silencieux et vide. L’ensemble évite de verser dans le catalogue type dissert de philo ratée, les auteurs s’appuient sur des figures et des concepts pour mieux déployer leur propre rhétorique, dense mais bien expliquée.

Au final, un OLNI (Objet de Lecture Non Identifié) exigeant avec le lecteur dans ses qualités comme ses défauts. Long à démarrer, mais j’en retiendrai surtout l’originalité et la profondeur de la deuxième partie. Une odyssée pas ordinaire !

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Fleur Sauvage ne fanera pas.

2 réflexions sur « L’outre-blanc – Oksana et Gil Prou »

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