Deux Gillio pour le prix d’un

On ne présente plus Maxime Gillio, vu que c’est déjà fait dans la précédente interview pour Rouge armé.
Il sort bientôt Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres, un témoignage sur sa fille autiste. L’occasion de le convoquer réinviter pour nous parler de ce bouquin au titre peu commun.

Couverture Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres

Orcus le narrateur zombie (Manhattan Carnage), les déracinées de Rouge armé trop allemandes ou pas assez, les frictions communautaires en Belgique (La Fracture de Coxyde), la galerie de personnages qui hantent Batignolles Rhapsody, on peut même remonter à Jean Dooghe de Bienvenue à Dunkerque, la biblio de Gillio est traversée par le thème de la différence… et son corollaire, le rejet.
Maintenant, on sait pourquoi.

Un K à part – Ça doit être cool d’avoir une fille autiste, non ? Pratique pour calculer ta déclaration d’impôt, savoir si le 23 juillet 1833 tombait un samedi ou un dimanche… A vous les folles soirées au casino où tu ramasses plein d’oseille pendant que ta fille compte les cartes ! La belle vie, quoi.

Maxime Gillio – Oui, si cette image de l’autiste tirée tout droit de Rain Man correspondait au portrait-type de l’autiste en général. Mais ça n’est pas le cas. Attention, Rain Man se base sur une histoire vraie, celle de Kim Peek, décédé en 2009. Kim Peek représentait une certaine catégorie d’autistes (comportements répétitifs, inhabilités sociales, calcul calendaire, mémoire encyclopédique, etc.), mais qui ne représentent qu’un maigre pourcentage de ceux qui entrent dans ce qu’on appelle les “troubles du spectre autistique”.
Autrement dit, être autiste, c’est une dénomination très générale, un raccourci grand public, mais en réalité, les “troubles envahissants du développement” sont tels qu’il n’y a finalement que peu de choses en commun entre par exemple un Asperger et un autiste de Kanner.
Et pour finir de répondre à ta question, ma fille est hélas incapable d’établir une quelconque martingale au casino. En revanche, elle connaît tous les chefs-lieux français et la bien plus des capitales mondiales que la moyenne. Ce qui ne me rapporte rien question pognon.

Affiche film Rain Man

K – D’après les chiffres, on compte 650 000 autistes en France. Déjà que les gouvernements ne glandent pas  grand-chose pour six millions et demi de chômeurs, je suppose pour que pour dix fois moins ils s’en battent encore plus les steaks ?

MG – Purée, tu me donnes dix heures pour répondre ?…
Je vais tâcher de faire simple, vrai défi pour une question complexe. Est-ce que les gouvernements ne glandent rien ? Je n’en suis pas sûr. Depuis dix ans, on a assisté à des plans autisme, et il semblerait que la question commence à devenir d’actualité. Mais le problème selon moi est le retard pris, pas seulement dans l’accompagnement, mais surtout dans la perception de l’autisme en France. On est à la traîne, avec près de trente ans de retard sur la définition même de ce handicap. Avec la meilleure volonté, les médias parlent encore de maladie au lieu de handicap, l’école psychanalytique a fait des ravages dans les familles et dans l’esprit du grand public, on continue à associer “autisme” et “déficience mentale” (alors que plus de la moitié des autistes ont un QI qui explose les normes…). Il n’est qu’à voir les déclarations récentes de François Fillon.
La problématique n’est pas : “pourquoi ne fait-on rien pour les autistes ?”, mais bien “pourquoi fait-on les choses aussi mal ?”.
Bien sûr, les sommes allouées à l’accompagnement de l’autisme sont bien trop chiches, mais il me semble surtout qu’elles sont mal utilisées. Il faut tout repenser, depuis le diagnostic jusqu’à l’insertion professionnelle, en passant par l’accompagnement au quotidien, l’éducation et la formation. Près de 8 enfants autistes sur 10  ne sont pas scolarisés ! 8 sur 10, bon sang !

K – Donc ton bouquin, c’est quoi ? La vie d’une autiste et de sa famille en vrai, loin de l’image romantique à la Rain Man et du silence médiatique ?

MG – Il faut savoir que je n’avais pas prévu de sortir ce livre (cf. ta question suivante). C’étaient des bouffées d’humeur, des billets qui demandaient à sortir de mes tripes certains soirs, et publiés à l’époque sur le Net. Bon, c’est vrai qu’en vue de la publication, j’ai retravaillé l’ensemble, bien sûr.
En fait, j’y raconte plein d’anecdotes sur ma fille, tantôt émouvantes, tantôt drôles, tantôt colériques. C’est raconté en apparence de façon décousue, en tout cas pas chronologique. Mais puisque tu insistes, bougre d’énergumène, et que tu m’obliges à le dire, ce n’est pas un livre sur l’autisme. C’est une déclaration d’amour d’un père à sa fille. Bon, OK, la fille en question est autiste, donc l’amour que je porte à mes enfants a un peu du mal à s’exprimer avec elle de façon conventionnelle. Alors je me suis dit que puisque j’avais du mal à lui témoigner tout ce que je ressentais, et que je suis le mec le plus pudique du monde, j’allais en faire des textes qui allaient être lus par des milliers de personnes. Oui, je suis pudique ET paradoxal.

K – D’après ton site, à l’origine tu as lancé une page FB dans laquelle tu t’adresses à ta fille, Asperger mon amour. Alors, je ne vais pas te poser la question de pourquoi sortir un bouquin avec tes posts, vu que la démarche se situe dans la continuité d’un propos public. Mais plutôt pourquoi, au départ, avoir choisi ce biais ? Je veux dire, c’est privé, les conversations père-fille, ça ne regarde que vous. Pourquoi pas des lettres gardées au chaud chez toi, estampillées “Pour Gabrielle, à ouvrir quand tu seras grande” ?

MG – L’idée est venue de la confrontation de deux constats. Comme beaucoup d’autistes, l’une des principales difficultés de Gabrielle réside dans le rapport aux autres, dans la communication et tous ses codes. Il est très difficile – pour ne pas dire plus – d’avoir une conversation suivie avec elle IRL, comme disent les jeunes. En revanche, j’avais constaté sa fascination pour tout ce qui était réseaux sociaux et échanges virtuels. Comme elle avait l’âge légal pour s’inscrire sur Facebook, je me suis dit que ce serait “marrant” de communiquer avec elle par ce biais, vu qu’au petit déjeuner, je n’y arrivais déjà pas.
L’autre raison, c’est qu’on me parlait souvent d’une nouvelle que j’ai écrite il y a six ans, et dans laquelle je me mettais dans la tête d’une fillette autiste. On me réclamait souvent que je me remette à écrire sur ce thème.
Du coup, ces deux questions m’ont trotté dans la tête, et je me suis dit : pourquoi ne pas écrire sur l’autisme, via mon expérience avec Gabrielle, et qu’en même temps, cette dernière vienne lire, à son rythme et sans que je l’y oblige, ce que je pense d’elle ?

K – On a l’habitude de te voir dans le costume du romancier, à l’occasion tu portes la liquette du nouvelliste. Pourquoi ce choix autobiographique du récit/témoignage/tranche(s) de vie plutôt qu’enrober de fiction ?

MG – Cf. en partie mes réponses précédentes. Auxquelles je rajoute les précisions suivantes : je me suis aperçu que dans quelques-unes de mes productions romanesques, j’avais des personnages ou ouvertement autistes (Lao-Tseu dans Les Disparus de l’A16) ou ayant des connaissances l’étant. Bref, ça devenait répétitif, et je voulais me débarrasser de cette habitude, qui révélait en outre une vraie souffrance chez moi. Donc quoi de mieux que d’aborder ouvertement le problème ? Mais je crois que la motivation principale, c’est la volonté dans ce projet de transmettre une émotion. Or, pour ce faire, rien de tel que d’avancer à cœur ouvert, sans fioritures ni enrobage fictionnel. Je ne dis pas que je n’aurais pas pu écrire l’histoire d’un père et de sa fille dans laquelle j’aurais glissé des morceaux de notre vie, mais pourquoi tant d’artifices ? Je voulais la réalité brute, avec identification immédiate. Le plus dur, c’étaient mes réticences, ma pudeur, ma phobie pathologique du pathos et du larmoyant. D’autant que, c’est bien connu, le “je” est haïssable. J’espère avoir évité ces écueils…

Collectif santé les auteurs du noir face à la différence

K – Avant Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres, tu as participé à deux recueils de nouvelles, l’un sur la différence (Les auteurs du noir face à la différence), l’autre sur la maladie (Santé !). Avec Sophie Jomain, tu participes à l’organisation du salon Envie de Livres, qui implique deux associations à caractère social (MECS de l’Artois et La Vie Active). Tu te rends compte que tu vas finir étiqueté “artiste engagé” ?

MG – Je n’ai bien sûr rien contre la notion d’artiste engagé, mais je vois bien le côté gentiment provocateur de ta question !

K – Comme si c’était mon genre de provoquer…

MG – Je ne suis, évidemment, pas un artiste engagé. Je suis avant tout un père, concerné par le handicap de sa fille, mais soyons honnête : si ma fille n’avait pas été autiste, serais-je “engagé” comme je le suis par la question ? Bien sûr que non ! C’est de l’empirisme, du pragmatisme consécutif à une situation que je n’ai pas choisie.
Alors certes, ça m’a ouvert et rendu un peu plus humain que je ne l’étais, et je suis davantage sensible à des problématiques de notre époque, je ne pense pas être un mauvais gars, derrière mon cynisme habituel, mais non, je ne suis pas un artiste engagé. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter des choses, pas de militer.
Après, est-ce que le choix de ce que je peux raconter relève du militantisme, ça… Vous avez quatre heures.
Et puis surtout, tant que je ne finis pas aux Enfoirés

K – Je vais laisser le mot de la fin à la principale intéressée : Gabrielle, ça fait quoi d’être l’héroïne d’un livre ?

Gabrielle Gillio – (Hausse les épaule et fait sa bouche en cul de poule.) Je sais pas…

Publié le Catégories Interviews

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *